Je me suis souvent dit qu’à un pays pouvait correspondre une image. Elle serait en quelque sorte la quintessence historique, culturelle et civilisationnelle du pays. Une sorte de résumé un peu folklorique et facile que tout le monde a en tête. Une image universellement connue qu’on identifie à un pays. Le cône parfait du mont Fuji se reflétant dans le lac Hakone pour le Japon, Chichen Itza pour le Mexique, les pyramides du Caire pour l’Egypte ou Machu Picchu pour le Pérou… Et lorsqu’on arrive dans ces endroits, on a l’impression de les connaître par cœur. C’est comme si on plongeait à pieds joints dans la carte postale. C’est toujours terriblement excitant et en même temps quelque peu déstabilisant.
Et puis je me suis demandée « Tiens, quelle image classique j’associerai à la Corée ? ». Une seule m’est venue en tête.
Nous sommes allés à la frontière et vous savez-quoi ? On est même allés en Corée du Nord. Je vous raconte…
Par la fenêtre du bus qui vient de quitter Séoul défilent des kilomètres de barbelés. Qui est en prison ? Nous ou eux ?
Les barbelés forment une ligne absurde qui empêche quiconque de s’approcher du fleuve. Ou d’en sortir. Pourtant, nous sommes en Corée du sud. « This river comes from North Korea » nous dit le guide. A intervalles réguliers, des tours de guets et des militaires armés. Rien ne passe, rien ne vit. On ne traverse pas ce fleuve. De toute manière il n’y a aucun pont. Au loin, on distingue clairement la Corée du Nord. Les collines sont pelées, complètement dépourvues d’arbres : c’est plus facile de surveiller le fleuve ainsi. Plus on avance et plus les barbelés se densifient.
On nous débarque au bord de la DMZ (zone démilitarisée, 2km de large de chaque côté de la MDL, Military Demarcation Line, la frontière en d’autres termes) à un point de vue, le Dora Observatory. De là, on voit la Corée du Nord qui s’étale devant nous, à 4km. On peut prendre des photos, mais pas au delà de la ligne jaune. Si on veut utiliser les jumelles pour regarder, c’est 500 won. Des clopinettes quoi. Mais tout de même. On a la fâcheuse impression de débarquer dans un sinistre Disney Land : des touristes se prennent en photo en faisant le V de la victoire, des guides racontent des blagues sur la zone, il y a même un shopping center ou on peut acheter du chocolat, des tshirt DMZ et des morceaux de barbelés. Oui oui, rien que ça ! On a fait de la zone démilitarisée une attraction touristique. D’ailleurs, si on veut la voir, ça ne se visite qu’en tour guidé. Ce qui est compréhensible d’ailleurs. Dès notre arrivée à proximité de la zone, la tension est palpable.
Etape suivante, la gare de Dorasan. La dernière gare avant le Nord, malgré ce que dit la publicité. Elle était plutôt fréquentée lorsque l’usine de Kaesong dans laquelle travaillaient Nord et Sud coréens « conjointement » était encore ouverte. Mais ça, c’était avant les tensions d’avril 2013. Depuis, elle est fermée. Et la station est devenue une gare fantôme. On a tout de même vu un train partir, emmenant quelques sud coréens travaillant à proximité de la frontière. Mais sur le quai, il n’y a personne et la gare est complètement vide.
Puis on nous emmène visiter un tunnel d’infiltration. Il en existe 4 dans le coin. Ce sont des tunnels qui pour la plupart ont été découverts à la fin des années 70 par les Sud coréens. Le nord essayait de s’infiltrer au sud en passant sous terre. Ils ont peint l’intérieur du tunnel en noir et lorsque la Corée du Sud a demandé des explications, ils ont soutenu qu’il s’agissait d’excavations de charbon. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de charbon dans la région.
Lunettes vissées sur les yeux, tenue de camouflage impeccable et sourire ultrabright, le MP Martinez, un soldat américain, nous prend en charge une fois arrivés au camps Bonifas. Il nous explique vitesse grand V (est-ce qu’il respire quand il parle ?) les règles avant de nous amener dans le « saint des saints »: la JSA (Joint Security Area), c’est-à-dire Panmunjeom. C’est dans cette baraque bleue si reconnaissable qu’a été signé l’Armistice du 27 juillet 1953. C’est là que sont ratifiées toutes les négociations intercoréennes. C’est mon image de la Corée. Et on va enfin y mettre les pieds.
Avant d’y arriver donc, il faut s’en tenir strictement à des règles toutes militaires. « I want you to cooperate with me guys. Especially regarding the North Korean soldiers. If you don’t, they might shoot* » nous assène-t-il à plusieurs reprises avec un fort accent yankee. (* Il va falloir coopérer avec moi les gars. Surtout en ce qui concerne les soldats nord coréen. Si vous ne coopérez pas, ils peuvent tirer ».). Bon, les choses nous semblent claires. On va se tenir à carreaux, c’est certain. On nous fait un briefing vitesse éclair sur la situation en Corée du Nord, sur la DMZ, le MP Martinez s’emmêle les pinceaux (il s’en excusera plus tard dans le bus) puis on nous fait monter dans un bus militaire. A partir de là et jusqu’à notre arrivée, plus de photos possibles. C’est stratégiquement trop sensible. On arrive devant un énorme bâtiment gris. On descend et on se met 2 par 2. Silence dans les rangs. On monte quelques marches et voilà, on y est: les baraques bleues vue des milliers de fois en photographie, à la télévision. Le cœur des relations intercoréennes. Une parenthèse sur l’une des frontières les plus fermées au monde. En face, c’est la Corée du Nord. On pénètre dans la baraque T2, celle du milieu. LE lieu de toutes les ratifications, des accords et autres rencontres. Et on entre en Corée du Nord.
Deux soldats sud coréens sont là, impassibles. Les lunettes, c’est pour donner un aspect plus menaçant nous dit Martinez. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça fonctionne. Et non, ils ne restent pas dans cette position (position de défense du Taekwondo : points serrés, bras et jambes écartés du corps) toute la journée. A peine est-on entrés que Martinez nous annonce que nous devons évacuer la salle dans 4 minutes. On prend quelques photos et on observe la frontière matérialisée par ce petit rebord en béton.
On ressort abasourdis. De l’autre côté de la frontière, un soldat Nord Coréen à sorti ses jumelles et nous observe. Martinez nous rappelle explicitement de ne rien faire: pas de signe, pas de geste, pas de « hello », ni même un clignement d’œil dans sa direction. « Just smile and do nothing ». Il doit être en train de scruter nos visages un à un. Le temps d’immortaliser l’instant, Martinez nous fait faire demi tour et nous voilà de nouveau dans le bus. La visite aura duré en tout et pour tout moins de 10mn.
On rentre à Séoul après une demi-journée passée dans la DMZ. Le temps semble s’être arrêté là-bas alors qu’ici, la vie suit son cours. Les séouliens vivent à 50km de la zone, insouciants, à 100 à l’heure. On a l’impression d’avoir mis les pieds « dans la Guerre Froide » et la sensation est étrange. Cette situation est tellement absurde.
On quitte Séoul pour d’autres horizons, nous ne serons pas en mesure de donner des nouvelles avant quelques jours.
Merci encore pour vos commentaires qui nous donnent le sourire aux lèvres !
Céline & Guy
Enorme!!!
Finalement vous y êtes allés quand même ! Impressionnant ! Bisous !
C’est une maison bleue adossée à la coline,on y va à pied on y reste surtout pas. lalalalala!!!!!!! J’y était dira t’il. BRAVO.
Oh nan ça commençait à devenir intéressant ! 😉
😉 Sacré Bruno !
Ca doit être assez impressionnant la frontière des deux Corées ! Un dernier vestige de la guerre froide.
Oui Seb c’était vraiment super !! Une sacrée expérience !! Qu’on a poursuivi cette semaine –> rendez vous au dernier article qu’on a posté 😉